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Erdé plume libre. Presque naïf.

Ce lieu est mon espace de liberté, de poésie, de rêve, d'utopie. C'est rouge et vert, les couleurs de la vie et celle des arbres Espérance. C'est bleu et blanc, pour l'Envol et l'Enfance. C'est le jaune de certaines calligraphies, pour la lumière du soleil. L'infini légèreté de l'esprit de l'être toujours en devenir. Le rêve perpétuellement retrouvé. Le regard grand ouvert et lucide sur ce que je suis et ce que je fais. Le regard grand ouvert et lucide sur le monde qui m'entoure. Venez à ma rencontre, comme je viens à la vôtre...mains tendues, paumes ouvertes vers le ciel... Vive la Vie et Vive Vous et Vous mes amis(es).

Le voyage de Savéria Orsoni

SAVERIA ORSONI...

SAVERIA ORSONI...

Dédicace particulière - à Henri Piasco.

Simplement pour ce qu’il est. Les mots me manquent, et la pudeur m’impose le silence de peur de trop en dire.

 

LE VOYAGE DE SAVERIA ORSONI.

Sommaire :

Préface - Chapitre I et Chapitre II

 

Préface.

 

L’histoire que je vais vous conter, n’est pas tout à fait que le fruit de mon imagination. Elle a été déterminante pour l’Amour que j’éprouve pour les Corses et leur île. Je la tiens presque pour rigoureusement authentique.

De toute façon, moi seul pourrait dire si c’est vrai ou pas.

 

Alors… ??!!

 

Il y a une quinzaine d’années de cela, j’étais en train de découvrir cette région du milieu des eaux. Ces eaux bleues, mais pas toujours. Ces eaux tranquilles et calmes, mais pas toujours.

A cette époque là je venais visiter mon fils et sa famille. Ce n’était pas toujours aisé. Je voudrai profiter de ce récit pour remercier ici, l’accueil matériel et amical que m’ont toujours réservé la famille de la mère de mes petits enfants dans son ensemble.

Peu importe qu’aujourd’hui les liens et les relations aient changé.

Mon vœu simple et modeste, que vous m’accordiez quelques instants de votre attention, pour parcourir ces quelques lignes.

Voici ce qu’il en est.

 

Santa Reparata di Balagna, le 29 Mai 2008.

Il va y avoir dans quelques jours un an que je réside ici en Corse. Je suis arrivé quelque peu démonté, exactement le 7 Juin 2007. Ce n’était pas ainsi que j’envisageais de venir vivre ici, pour finir ma vie et durant le dernier bout du chemin qui me restait à parcourir, pour y voir grandir mes deux Amours – Manon et Téo.

 

Bref !!!

 

J’écris et c’est ça qui me sauve. Je ne suis pas ou presque pas à la charge de mes semblables. Je travaille, j’occupe mon temps entre mon travail à l’école de Musique de Calvi U Timpanu (prononcer U « D »impanu), et l’écriture. Là au creux de mon appartement perché tout en haut du village. Je devrais plutôt dire ma cave exiguë qu’appartement.

Si vous saviez comment j’ai eu du mal à prononcer correctement ce nom U Timpanu. Cela m’a valu maintes et maintes moqueries. Peu importe j’y suis aujourd’hui parvenu. Tant pis si je n’ai plus trop souvent l’occasion de montrer une maîtrise presque parfaite de la prononciation de ce simple nom. Simple et quasiment unique dans mon vocabulaire de la langue Corse.

 

La photo est là, posée juste devant moi sur le bureau à côté de mon ordinateur. Je ne sais de qui elle est le portrait. Je l’ai découverte en faisant du rangement dans une armoire de U Timpanu (où j’ai été embauché pour assurer la gestion).

Revenons à cette photo. Elle est d’un format totalement inhabituel – comme si quelqu’un l’avait débarrassé tout autour de la personne qu’elle représente de tout autre personnage ou d’un quelconque décor réducteur pour l’imaginaire.

Le personnage qui figure sur ce carré de quelques centimètres de côté, légèrement cartonnés et de couleur sépia, est une « vieille femme ». Pas le portrait en pied d’une « vieille femme » non, juste le visage pris de trois quarts. Juste ce qu’il faut pour lui donner encore plus de vie dans l’expression.

Attendez, ne partez pas je l’observe encore une fois. Cela fait plusieurs semaines que je la vois. Elle me fascine.

Sa tête est recouverte d’un fichu qui lui descend jusqu’au épaules. Il devait être noir. Enfin là c’est mon imagination qui s’active. Célina ma grand-mère maternelle, ainsi que Catherine ma grand-mère paternelle portait en hiver ce genre de pèlerine.

Vous voyez qu’il n’y a pas tant de différence entre ma région natale et cette île que l’on décrit comme farouche et sauvage.

Le regard de la « vielle femme » au fichu vient totalement contredire cette réputation. Malgré un nez long et aquilin qui lui coupe la figure nettement en deux, malgré les pommettes saillantes et les yeux profondément enfoncés dans leurs orbites, ce visage m’inspire tout à la fois bonté et fermeté de caractère. Sans doute ces minuscules et brèves rides y contribuent t’elles quelque peu également.

Ces rides sont celles des gens qui ont vécus au grand air et ont travaillé dur, exposés à la pluie, au froid, au vent et à la chaleur parfois torride du soleil. Des gens comme l’on n’en voit plus guère dans nos pays. Même ici, ils se sont fait rares.

Ce côté volontaire est nettement accentué par le menton proéminent. La lèvre supérieure très mince à l’opposé de la lèvre inférieure peut me laisser penser que c’est ce que l’on appelle encore aujourd’hui une « taiseuse ».

De ces gens à qui rien n’échappe lorsqu’ils vous regardent, mais qui parlent peu et ne partagent que rarement le fruit de leurs pensées. Pas de bavardages inutiles.

Le regard haut et droit affiche sur l’image une grande douceur, presque de l’Amour à l’état pur.

Ces yeux là me rassurent sur la qualité du personnage dont je vais essayer le plus sincèrement possible de vous raconter une petite, toute petite partie de la vie.

Je n’aurais pas pu vous parler d’une femme dont l’expression eut reflété la moindre once de méchanceté.

Dépassant du fichu, partagés par une raie marquant une ondulation toute féminine malgré l’âge avancé de la « vieille », des cheveux blanchis me rassurent aussi sur la bonté et la beauté naturelle de cette âme. Ouf !! Qu’aurai-je pu partagé d’elle s’il n’en avait été ainsi ?

Il va falloir que je la baptise. J’en demande d’avance pardon, si par un immense hasard un de ses héritiers la reconnaissait en lisant dans le plus grand des hasards ces lignes.

 

J’ai longtemps hésité pour lui accorder un nom, un prénom et une date de naissance. Mais voilà c’est chose faite.

Je ne suis pas sûr que l’usage du verbe accorder soit le bon. A ces personnes on n’accorde rien, ce sont elles qui nous font don de leurs exemples, et la plupart du temps c’est sans d’immense démonstration. Ni verbales, ni physiques. On les voit, on les contemple, on les observe et ce qu’elles pensent, ce qu’elles inspirent s’inscrit à jamais dans nos cœurs et dans nos esprits. Point n’est besoin qu’elles parlent. Elles sont rares. Elles sont donc précieuses.

 

vvv

 

Chapitre I. L’enfance.

 

Elle s’appelle Savéria Orsoni. Savéria Orsoni est née le 23 Octobre 1806.

 

Sa mère Toussainte femme forte l’a élevée toute seule. Enfin, quand je dis toute seule, pour être exact, fidèle à la vérité, Toussainte n’était pas seule dans la vie.

Le père naturel de Savéria n’avait pas reconnu l’enfant. En ce temps là mettre un enfant au monde sans père, c’était sans doute ce qu’il y avait de pire au regard des proches, mais surtout à celui du voisinage. J’ai ouï dire que des femmes seules pouvaient être rejetées totalement par leurs parents et leurs frères et sœurs, sans aucun scrupule ou états d’âmes. Cela se produisait parfois même au nom de la religion.

Mais Toussainte n’était pas femme à s’en laisser compter. Ni à se laisser démonter par toutes les mauvaises langues qui ne cessaient de s’agiter sur son compte, tout autour d’elle. Particulièrement dans son dos.

Elle avait accouché de ce premier enfant, réfugiée chez une de ses meilleures amies qui l’avait prise en affection. Ensemble elles avaient vécues comme deux sœurs, partageant tout à la fois, les peines et les joies, pleurants au unes et riants aux autres. C’est ainsi que survivent certaines femmes, quand les autres les rejettent sous l’influence des « hommes trop sûrs d’eux » ou sous celle des « religieux », harnachés sous le joug de leur soi disant bon Dieu.

Toussainte n’était pas une impie, mais elle savait bien voir où était le mal et le bien, quand elle le voyait passer devant elle même sous une jupe pimpante et des dentelles immaculées. Ou bien encore lorsqu’elle l’entendait dans la bouche étroitement pincée d’une tête cauteleuse en haut d’un corps décharné comme un jour sans pain, sanglé dans un habit noir, lustré et usé jusqu’à la corde. Ici, les représentants du ministère religieux, n’était riche que du peu de latin qu’ils avaient appris, juste là pour servir la messe et tenir serrés leurs ouailles. Ces mêmes ouailles, elles ne sachant ni lire, ni écrire et à peine compter.

 

Toussainte croyait en Dieu, mais pour elle ce Dieu ne pouvait être qu’un Dieu d’Amour.

 

Les riches confiaient leurs richesses grandes ou petites à un « notaire, plus ou moins honnête ». Il y avait déjà en ce temps là des hommes faisant profession du droit dépourvus de tout scrupules.

 

Dans cette île loin du continent comme ils disent, les mauvaises langues comme partout sur toute la surface du globe, peuvent faire beaucoup de tors et de mal. « Les poutatches » c’est ainsi qu’on les nomme en Corse allaient bon train à cette époque. Au village, tout le monde connaissait tout le monde et il était bien difficile pour deux jeunes gens très épris l’un de l’autre, de s’aimer sans rien laisser paraître de leur amour.

Il fallait être du même milieu social, du même bord politique, et avoir des biens à peu près équivalents. Le père de Savéria n’était aux yeux de l’opinion qu’un aventurier venu du continent. Les jeunes gens comme lui n’étaient pas les bienvenus.

Il avait débarqué en Balagne avec une horde d’autres jeunes aventureux venus chercher un meilleur sort que celui que leur réservait la vie, au fin fond des rudes montagnes des Cévennes.

A cette époque il n’était pas de bon ton de vouloir de force échapper à la conscription, obligatoire.

Qu’elle drôle d’idée leur était passée par la tête de venir s’échouer sur les côtes de cette île, dont on ne savait rien ou pas grand chose. A part qu’elle avait fait l’objet de multiple tentation de la part des Républiques Italiennes et de la France tout juste émergeant de la totalitaire royauté.

 

Mais Joseph ignorait tout ou presque de tout cela.

 

Joseph père de Savéria, lorsque celle-ci vint au monde - avait à peine vingt ans. Il était sec et noueux de la tête aux pieds. Sec, mais fort bien fait de sa personne et l’esprit vif autant qu’un renard roux des bois. Le poil dru et brun et la barbe rude malgré son tout jeune âge. Lui même ne sachant pas comment échapper à la vindicte permanente de son père, le cœur meurtri par son veuvage, avait délibérément choisi de fuir tout à la fois ce père violent et ce pays ingrat.

Après la naissance de la petite, Joseph et Toussainte avaient vécu quelques mois ensembles.

Juste le temps pour Toussainte de se relever de ses couches et de retomber enceinte. Lorsqu’elle annonça à son homme non reconnu par la communauté du village connu seulement de son cœur et son corps - qu’elle était enceinte à nouveau, celui-ci s’en alla sans un regard. Sans dire où il allait. On ne le revit jamais. Les bruits les plus divers et les plus fous, les plus invraisemblables ont courus sur son sort. Je n’en sais pas davantage, donc je n’en écrirai pas un mot de plus. Hélas, pour le côté haletant de mon récit. Bien sûr je plaisante. Ici depuis le début de mon histoire, point de « suspens » comme l’on dit.

Neuf mois après Toussainte, mit au monde un adorable bébé de sexe masculin qu’elle baptisa Ange.

Ses enfants porteraient tout deux le nom d’Orsoni. Son nom, puisque Joseph leur père s’était enfui, sans reconnaître sa progéniture. Il l’avait laissé quelques jours seulement un peu désemparée. Très vite sa force de caractère et sa volonté avaient repris le dessus.

 

Savéria et Ange nés à si peu de temps l’un de l’autre, grandirent élevés avec beaucoup d’amour et de fermeté dans une grande complicité réciproque. A les regarder rapidement l’un à côté de l’autre, on aurait pu facilement les prendre pour deux jumeaux.

Je dis bien regarder rapidement. Car si l’on s’attachait à les observer de plus près, comme pouvait le faire leur mère ou Octavia leur nourrice, on pouvait voir que Savéria était plus téméraire et plus souriante que son frère. Il y avait là, une sorte de paradoxe naturel. Sans doute un mélange du caractère un peu fou et solitaire du père et la ténacité, assortie à la prudence de la mère.

 

Mais n’en est-t-il pas ainsi de tous les caractères humains ? N’en est-il pas ainsi partout sur toute la surface variée de la planète « Terre » ? N’en est-il pas ainsi pareil depuis la nuit des temps, depuis la première aube du premier enfant ?

 

Très tôt Ange pris le goût du travail manuel.

Il s’efforçait de ses petites mains malhabiles à construire des charrettes de bois en « miniatures » qu’il essayait mais en vain d’atteler au chat de la maison, mais également à tous les chats du voisinage. Cela se finissait toujours de la même manière, des miaulements stridents d’un côté et des pleurs et reniflements liés aux incontournables griffures des mistigris effarouchés de l’autre, sur la chair tendre de l’enfant.

 

Savéria, en future femme accomplie seconda très tôt sa mère du mieux qu’elle le pouvait.

Elle avait appris sans barguigner à laver la lessive, frottant torchons, serviettes et draps de lits avec toute l’énergie de son âge. Ne craignant pas de plonger ses mains à la peau encore enfantine dans l’eau glacée du lavoir en contre bas du village.

Elle donnait à manger aux quelques poules de la basse-cour, ramassait leurs œufs. Sans oublier de nourrir les lapins, de récurer leurs cages, de traire la chèvre seule véritable fortune de la famille.

Elle étendait le linge et le ramassait une fois sec. Commençait à savoir bien repasser, faisait un peu de ravaudage. Les chaussettes de son frère et quelques bas d’hiver d’elle-même ou de sa mère n’avaient presque plus de secret pour ses doigts habiles. Bien sûr parfois elle se piquait, et une perle de son joli sang vermeil venait éclore coquelicot éphémère au bout de son pouce, une petite succion et très vite la douleur devenait un vil souvenir, une de ses petites blessures de la guerre entre les instruments récalcitrant et les petites mains apprenties. Elle finissait sa journée un peu fatiguée, se couchait tôt comme les poules - lui disait sa mère en la taquinant. Au petit jour elle se levait déjà une chanson légère au bord de ses lèvres fraîches comme la rosée du matin et un sourire enjôleur au coin de ses yeux noisettes.

 

Savéria, tout le village autour d’elle s’accordait à le dire avait l’humeur égale et joyeuse.

Lorsque l’âge viendrait, bienheureux le garçon qui la marierait.

Ce qui se disait à ses onze ans, s’avéra véritable à ses dix neuf, et même au-delà.

Mais nous n’en sommes pas là. Pour l’heure, cela suffisait d’enfiler les jours après les jours comme un joli petit collier de perles colorées autour du cou de sa mère courage.

C’est ainsi que Savéria apprenait elle aussi la vie. Elle était heureuse et rendait heureuse le monde tout autour d’elle. C’est tout.

 

 

vvv

 

 

Chapitre II. A la découverte du monde.

 

La sœur et le frère apprenaient à lire et écrire auprès du père Araghelli, le vieux curé du village.

Celui-ci n’était ni un grand savant, ni un très bon pédagogue. Il pensait néanmoins qu’il valait mieux deux enfants sachant lire les Saintes écritures que deux enfants analphabètes. Ses convictions professorales s’arrêtaient là. Chez Toussainte on parlait couramment la langue Corse à laquelle venaient se mêler quelques mots de la langue Occitane, elle-même mêlée d’un peu de Français. Ces rares mots Français et expressions Occitanes, Toussainte les avait retenues de sa relation avec Joseph.

Le pauvre Araghelli quand a lui, n’aurait pu rien transmettre de plus, même avec la meilleure volonté de la terre, le prêtre n’en savait pas plus que le latin des évangiles et celui des « répons » de la messe. La plupart du temps, il vivait chichement de la quasi charité de ses paroissiens.

Il se lavait rarement ou pour être plus précis, à peu près tous les quinze jours en petit et deux fois par an en grand. A Pâques il soupait le soir chez Toussainte, à Noël il réveillonnait chez maître Rocalli le notaire du bourg de Lumio. C’était là les deux jours de lavages en grand.

Le notaire envoyait son landau attelé personnel, quérir le vieux prêtre. Et celui-ci repartait de la même manière le lendemain matin, après avoir bénéficié des largesses du notaire, aussi bien en terme de victuailles, que d’espèces sonnantes et trébuchantes contenues dans une grosse bourse de cuir que le curé fourrait au plus profond d’une poche qu’il pensait secrète sous sa soutane élimée.

Toussainte et Savéria si nécessaire recousaient bien dévotement les petits boutons noirs de sa soutane. Et c’est tout. Nul n’en pourrait dire plus que moi, et nul ne souhaitait en savoir davantage, sur le prêtre. Il y avait entre l’homme d’église et les habitants du village, une certaine distance, tout à la fois physique et de paroles. Cet homme demeurerait bien mystérieux tout au long de son existence, rude et simple.

Bientôt Savéria sût lire couramment sans ânonner et Ange maîtrisa parfaitement les premières notions de calculs, à savoir additionner, soustraire et multiplier les chiffres que le bon père quoiqu’un peu trop rigoureux aux yeux du garçonnet avait su lui apprendre.

Ange eut plus de mal que sa sœur pour apprendre la lecture. Ces tracés aux formes bizarres sur le papier de la bible du vieux curé, l’impressionnaient, le laissaient souvent muet. Savéria était tenté, bonne fille qu’elle était, de lui souffler la réponse, mais la main rugueuse du prêtre alors s’élevait dans un geste impérieux lui intimant le silence. Quand à l’écriture, il faudrait attendre qu’il soit en apprentissage, pour qu’il parvienne à en acquérir une presque parfaite maîtrise.

 

Lorsqu’un des deux enfants étaient malades, bien plus rarement Toussainte, celle-ci faisait appel au docteur Salvodelli. Celui-ci, célibataire endurci – mais pas sans aventure – tant il était bien fait de sa personne, habitait une belle et grande maison en dehors du village. Tout autour de hauts murs empêchaient quiconque de jeter un regard, indiscret sur ce qui se passait les soirs de réception chez le médecin. Ces soirs là tout un ballet d’attelages divers obligeait le gardien à ouvrir et fermer sans arrêt le lourd portail de chêne qui fermait le parc entourant la maison. Par dessus le haut mur on apercevait la cime d’arbres aux essences diverses. Les oliviers plus que centenaires rivalisaient avec les eucalyptus aux formes altières, si grands qu’Ange en était venu à penser que leurs cimes côtoyaient aisément le plus haut des cieux, et que la tête du plus haut des arbres était couronnée par les nuages.

 

A l’occasion d’un de ces soirs de fêtes chez le docteur Salvodelli, profitant d’un instant d’inattention du gardien, avant que celui-ci ne referme le portail Ange en profita pour se faufiler avec agilité dissimulé derrière une belle calèche noire, à l’intérieur de l’immense parc enclos derrière ces murs austères. Il resta caché derrière l’énorme tronc d’un olivier, retenant son souffle. Cette précaution était bien superflue, car à l’intérieur de la maison et sur les terrasses avant et arrière le bruit des convives, et la musique que produisaient les musiciens chargés d’animer la soirée empêchait quiconque de percevoir le souffle imperceptible de la douce respiration d’un enfant.

Ange était ébloui, tout lui semblait féerique. Les lumières des chandeliers et lustres qui illuminaient l’intérieur de la maison, les terrasses et le parc. C’est surtout la vision de tous ces arbres majestueux qui le laissait sans voix. Lui dont la passion pour toutes ces sortes de colonnades naturelles de bois ne cessait de grandir en même temps qu’il grandissait avec elles. Jamais l’amour pour ces temples naturels ne se démentirait. Tout au long de la soirée prêtant quoiqu’inutilement attention à ne pas se faire voir, Ange parcouru dans tous les sens l’immensité du jardin. A la fin, en ayant fait plusieurs fois le tour de ce domaine, le garçonnet curieux s’endormit au pied d’un énorme chêne planté assez loin de la maison du maître et assez loin de celle du gardien. Il se dit qu’il trouverait bien un moyen de s’échapper de cette si belle prison, mais que pour le reste de la nuit, il devait en profiter. Se rassasier de tant et tant de verdure et des odeurs d’humus et de terre mêlées. Il n’aurait pas si souvent une aussi belle occasion d’en profiter. Lui, le fils taciturne de la belle Toussainte perçut inconsciemment cet appel troublant de la forêt.

Le froid du petit jour et l’humidité le réveillèrent, la rosée avait couronnée de jolies perles argentées la plus petite des feuilles, le moindre brin d’herbe tout autour de lui. Un à un les bruits de la nature se faisait entendre aux oreilles émerveillées de l’enfant. Par dessus tout, le chant des oiseaux émut Ange au plus haut point.

 

  • « Que fais-tu là ? et comment es-tu entré ? Mais je te reconnais, tu es Ange le fils de Toussainte la lavandière, celle qui a deux enfants et pas de mari réponds !! Allez, réponds !! »

 

Ange sursauta, il n’avait rien entendu, pas le moindre craquement de brindille, qui aurait pu l’alerter. Il tremblait plus de peur, que de froid. Devant lui campé fermement sur ses deux jambes se tenait Sauveur Piscien le gardien de la propriété du médecin. Malgré sa mine renfrognée, ses yeux couleur d’acier sous d’épais sourcils noirs et ses énormes poings serrés posés sur ses hanches larges, le gardien n’avait pas l’air si méchant qu’aurait pu le laisser penser sa grosse voix.

  • « Allons, qu’attends-tu : réponds moi ? Que fais-tu là au pied de cet arbre, à moitié endormi, et tremblant de froid ? ».
  • « Je, je, je me suis endormi, Monsieur Sauveur je, je, je n’ai rien fait de mal. Vous savez j’aime tant le bois et les arbres, que hier soir je n’ai pas résisté à la tentation d’entrer et puis j’étais fatigué d’avoir tourné et retourné dans ce si bel endroit, que j’ai pas fait attention, quand vous avez refermé le portail, après le départ du dernier invité de Monsieur le docteur et je me suis endormi là, au pied du chêne mais je vous promet, je n’ai rien fait de mal ».
  • « Bon, bon, bon, bien, bien, je te crois mon garçon, de toute façon, tu aurais affaire à moi, en cas de mauvaise action. D’abord à moi et puis ensuite à Monsieur le Docteur ».

Sauveur Piscien n’étais pas mauvais homme, en réalité il était tout le contraire de ce que laissait à penser son allure et ses traits de gros ours mal léché.

 

  • « Lève-toi ! Où faut-il que je te porte ? Suis-moi, je ne vais quand même pas laisser repartir Ange le fils de Toussainte, au petit matin avec l’estomac vide Allez debout fiston !!! »

 

Ange pas tout à fait rassuré, mais n’ayant pas d’autre choix que d’obtempérer, suivit Sauveur le gardien de ces lieux enchanteurs aux yeux de cet enfant, très curieux, et si peu bavard.

 

En réalité, et je vous confie ceci, comme un secret que vous saurez tenir serré au fond de le besace de votre esprit, en réalité Sauveur depuis sa toute première jeunesse était amoureux de la Toussainte. Il l’était depuis la première fois, où passant près du lavoir il avait observé la jeune lavandière plongeant sans crainte du froid de l’eau ses beaux bras à la peau si blanche, si laiteuse. La seule vision de ces bras dénudés avait suffit à allumer le feu dans le cœur, l’esprit et toutes les entrailles de Sauveur Piscien. Mais Toussainte ne l’avait jamais vu, elle le croisait tous les mercredis au marché du village, cela faisait presque vingt cinq ans qu’il se croisait ainsi toutes les semaines, et Toussainte ne le voyait pas. Du moins pas comme Sauveur aurait aimé qu’elle le regarde.

Toussainte avait préféré Joseph ce vagabond venu d’on ne sait où. Joseph lui avait fait deux enfants et puis hop !!! Envolé, disparu. Lui, Sauveur n’aurait pas agit de cette façon, pour sûr, même qu’il les aurait pris elle et ses enfants, si au moins elle avait eu le plus petit regard pour lui. Ah !! Si elle avait voulu…

 

  • « Allez entre, et assieds-toi tu as faim, tu dois avoir une faim de loup !!! »
  • « Oh !! oui, un petit peu je ne veux pas vous déranger. Et puis il faut que je rentre, ma mère va s’inquiéter ».
  • « Ta mère, va s’inquiéter !! en voilà une réflexion censée, mais tu ne crois pas qu’il fallait y penser un peu plus tôt ? Juste avant de te laisser tenter, puis de te faire enfermer dans le parc et d’y passer la nuit entière - en attendant que je te raccompagne, chez toi, mange, allez tu n’es plus à quelques minutes près. Même si Toussainte telle que je la connais, un peu doit se faire un sang d’encre il ne sera pas dit fois de Sauveur Piscien que je lui ramènerai son petit l’estomac vide et gargouillant ».

 

En même temps qu’il lui parlait le gardien de ce lieu magique aux yeux de Ange, lui avait coupé deux énormes tranches de gros pains et remplis un bol presque aussi gros qu’une bassine, d’un lait de chèvre moussu avec quelques gouttes de café et une demi douzaine de morceaux de sucre.

Jamais l’enfant n’avait fait de petit déjeuner aussi somptueux. Il s’en souviendrait toute sa vie.

 

  • « Bon allez, tu n’as plus faim, j’espère. On peut prendre le chemin du retour ».
  • « Bredouillant, rouge de confusion Ange remercia le bonhomme, heu !! heu merci Monsieur Sauveur, merci beaucoup, jamais je ne vous oublierai, jamais ».
  • « Monsieur Sauveur Piscien, on me dit Monsieur Sauveur Piscien. Ecoute-moi mon garçon, tu vas revenir et je t’apprendrai à reconnaître tous les arbres et aussi les usages que l’on peut faire de chacun d’eux.

Mais à deux conditions, la première c’est que tu viennes dans la journée que ta mère la plus brave des femmes parmi les braves femmes, en soit informée et surtout que tu entres par le portail grand ouvert et la tête haute compris, mon gars ? ».

 

Ange très ému hocha la tête, muet d’émotion et mis ses pas dans ceux du gardien Sauveur Piscien, jusque chez sa mère. Celle-ci morte d’inquiétude le pris dans ses bras en le couvrant de baisers. Un geste très exceptionnel pour cette époque, où l’on ne manifestait qu’à de très rares occasions ses sentiments, même lorsqu’on était une mère aimante et courageuse.

 

Ange ne se doutait pas que le gardien du parc du docteur Salvodelli, Monsieur Sauveur Piscien venait de sceller à jamais par son attitude, le restant tout entier de sa vie.

Plus rien jamais ne détournerait Ange Orsoni de son amour du bois et des arbres.

 

Quelques deux ou trois ans plus tard, je ne me souviens plus bien Ange entra en apprentissage chez un brave menuisier au bourg de Lumio, après cinq ans passés dans cet atelier, où le compagnon du tour de France Sage Ganac lui apprit tout ce qu’il savait lui même :

  • comment reconnaître toutes les essences d’arbres poussant sur l’île.
  • L’usage de tous les outils liés à la profession – les rabots, trusquins, varlope, gouge, râpes de toutes les dimensions…etc.

 

Ange malgré les réticences de Toussainte décida de traverser la mer et d’entreprendre à son tour son Tour de France du compagnon du devoir. Un jour de début du printemps de 1828, Ange Orsoni s’embarqua à bord d’un gros bateau qui assurait la liaison entre la Corse et le continent. Il avait juré à sa mère qu’il reviendrait s’installer sur son île natale. Mais la vie en décida autrement.

Nous verrons un peu loin, brièvement ce qu’il en advint de cette belle promesse et comment Ange, bien contre son grès ne put la tenir.

 

Pour l’heure, il est temps que j’en revienne à l’histoire qu’a fixé dans mon esprit cette photo sépia, ce bout de carton mal découpé, l’histoire du voyage de Savéria Orsoni.

C’est bien d’elle et d’elle seule dont je voulais vous parler au début de mon récit.

 

Et voilà que je me suis laissé emporter comme à mon habitude par le flot de mon imaginaire, de la même manière que lorsqu’une fileuse tire le fil d’une bobine sans le casser. Mais je ne suis pas une fileuse. Et c’est Savéria qui d’ors et déjà va occuper mon esprit et je l’espère finira aussi par vous conquérir aussi.

 

Souvenez-vous au moment de ma digression épistolaire qui m’a entraîné autour de Ange, je vous avais expliqué que Savéria l’aîné de Toussainte, la mère courage qui portait bien haut la valeur du symbolisme de son prénom était heureuse et qu’elle rendait heureux tout autour d’elle. Jamais cette grande qualité ne se démentit. Jamais, je vous le promets.

Au départ de son fils Ange, Toussainte ne se remit pas vraiment de la décision de celui-ci. Mais elle avait appris ou plutôt la vie lui avait appris que l’on ne fait pas des enfants pour les garder auprès de soi et que les garçons en particulier, ont un besoin incompréhensible d’aventure bien plus grand que les filles. Elle en avait été témoin à l’occasion du départ de Joseph, son Joseph, le père de ses deux beaux enfants.

Les hommes ne voient ni dans les soins et l’éducation à donner aux enfants, ni dans leur bon apprentissage une aventure digne de leurs ambitions et de leurs rêves, de mâles.

Même si de nos jours les choses ont beaucoup évoluées et si les filles ont elles aussi éprouvent parfois violemment cette soif d’ailleurs, ce sont d’abord les hommes qui « mettent les voiles », qui quittent sans regrets les rives des terres familières. Les hommes fuient sans regrets à toutes jambes les bords du fleuve de leur enfance.

 

Bien qu’à peine âgée d’un peu plus de cinquante ans au départ de Ange, Toussainte pourtant soutenue par sa fille, se laissa aller à une espèce de langueur, comme si tant d’effort, tant d’amour donné pour son fils, la laissait vide de but. Elle sombra peu à peu dans l’indifférence et le silence.

Savéria dut redoubler de travail pour subvenir aux besoins de sa mère et à ses propres besoins.

Heureusement la jeune fille était d’une bonne constitution. Sa légendaire joie de vivre suscitait l’admiration autour d’elle.

Petit à petit Toussainte devint hermétique à tous sentiments. Aussi bien aux malheurs de ses voisins qu’à leurs joies. Elle finit par ne plus sortir de chez elle, puis un jour sans raison apparente, elle refusa de se lever. Il fallut toute la douce persuasion de Savéria pour qu’elle consente à poser ses pieds hors du lit de bois sombre.

Pourtant Ange avec une générosité juvénile ne manquait pas une occasion de donner de ses nouvelles.

Malgré les visites régulières du docteur Salvodelli qui n’était plus tout jeune, Toussainte restait prostrée durant des heures assise devant sa fenêtre ou recroquevillée devant la cheminée. Elle marmonnait des paroles inintelligibles. Personne n’en comprenait le sens. Pas même Savéria. Celle-ci était au petit soin auprès de sa mère. Elle se disait souvent qu’elle lui devait tout. Sa force morale, son courage physique, et tout ce qu’elle savait faire, la moindre petite tâche quotidienne c’était elle sa chère maman qui le lui avait appris.

 

La voir ainsi se laisser aller vers sa fin lui mettait souvent des larmes au coin de ses beaux yeux. Mais très vite d’un coin de tablier, elle essuyait ses yeux embués et reprenait son travail, à l’intérieur ou à l’extérieur de la petite maison de pierre.

Il ne manquait que Ange et sa mère reprendrait le goût à la vie. Même la nouvelle du mariage de son fils et la prochaine naissance de son premier petit enfant ne la ramena pas un instant à cette belle réalité.

Toussainte quitta ce monde qui ne lui avait pas fait beaucoup de cadeaux le 15 Octobre 1836. Elle partit dans un souffle léger, sans bruit. Savéria pleura discrètement, écrivit la nouvelle à son frère. Celui-ci lui répondit plusieurs semaines après l’enterrement.

En ce temps là les moyens de communication étaient difficiles, et les déplacements rares et coûteux.

 

Savéria se demanda, à la sortie du cimetière :

« Pourquoi le monde ne s’arrête t’il pas de tourner quand une mère comme la mienne s’envole sans un bruit ?? ».

Il n’y avait autour d’elle personne pour apporter un quelconque semblant de réponse à cette question.

 

A SUIVRE...

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